A peine sortis de la crise sanitaire qui a bouleversé, durant un temps, nos habitudes de déplacement et accéléré la prise de conscience de la menace des graves conséquences du bouleversement climatique, viennent s’ajouter les conséquences économiques et sociales de la récente crise énergétique engendrée par le conflit géopolitique russe et ukrainien. La France semble pouvoir faire face à la dépendance énergétique dans laquelle l’Europe est enfermée, puisque 92% de l’électricité que produit l’Hexagone est décarbonée[1].

Si l’urgence climatique nous invite à repenser complètement nos modes de vie, nous ne pouvons pas ignorer non plus la hausse des prix des carburants avec notamment une augmentation d’environ 30% du prix du litre du gazole entre janvier et mars 2022. Une inflation qui vient fragiliser près de 5,3 millions de français victimes de leur dépendance à la voiture personnelle dans leurs déplacements domicile-travail.

Cette crise énergétique vient inscrire la nécessité, mais surtout l’urgence, de repenser la stratégie du déploiement et du développement massif des modes alternatifs dans tous les territoires de la France. Plus que jamais, limiter la casse n’est plus suffisant quand la précarité en matière de mobilité est devenue le quotidien d’une personne sur cinq.

D’abord une crise sociale et économique

Selon les chiffres du rapport mobilité de mars 2022 de la Fondation « Pour La Nature Et l’Homme »[2], on compte aujourd’hui près de 13,3 millions de Françaises et Français confrontés à la précarité en matière de mobilité, qui parviennent difficilement à trouver des moyens satisfaisants et adaptés à leur situation physique ou économique pour se déplacer en France. Qu’ils soient en situation de vulnérabilité, confrontés à un manque d’offre alternative, ou soumis à des trajets longue distance, force est de constater la prégnance de la dépendance à la voiture personnelle et aux énergies fossiles.

De plus, la hausse des prix à la pompe se traduit par une baisse drastique du pouvoir d’achat de cette partie des Français à la mobilité précaire. Pour un déplacement qui pouvait coûter 4€ au mois de janvier 2022, un salarié paie au mois de mars plus de 5€ pour se rendre au travail, ce qui représente un budget qui sera passé de 80€ à 100€ par mois.

Cette fluctuation des prix des carburants fossiles et l’incertitude concernant l’avenir quant à un potentiel inversement des tendances, a des effets profondément inégalitaires, car les premiers touchés seront les plus précaires. Et malheureusement le seul prix n’est pas un moteur de changement de pratiques pour s’orienter vers d’autres modes.

La voiture électrique, une opportunité ?

En France le secteur des transports représente 30% des émissions totales de gaz à effet de serre. Pour répondre aux enjeux climatiques et énergétiques, les députés européens sont parvenus à un accord avec les États membres sur la loi climatique européenne, le 19 avril dernier, qui porte l’objectif d’atteindre la neutralité carbone à horizon 2050. Un premier palier, fixé à horizon 2030, a pour objectif de réduire les émissions de 55% par rapport à 1990.

Une solution semble s’offrir à nous : la voiture électrique. Les politiques publiques vont d’ailleurs en ce sens, puisque le plan Climat prévoit la fin de la mise en vente des voitures thermiques d’ici 2040.

Le renouvellement du parc automobile Français représente une opportunité industrielle s’il est accompagné par des politiques publiques volontaristes.

La Loi d’Orientation des Mobilités (LOM), promulguée en décembre 2019, impose également un certain nombre de mesures qui vont dans le sens du renouvellement du parc de véhicules. Ainsi, depuis fin 2020, les territoires concernés par le non-respect de manière régulière des normes de la qualité de l’air mentionnées à l’article R. 221.1 du code de l’environnement ont dû instaurer des Zones à Faibles Emissions mobilité (ZFE-m), dont l’accès est réservé aux véhicules les moins polluants et repose sur le système de vignettes Crit’air.

En ce qui concerne le parc des entreprises, la LOM impose le renouvellement des flottes de véhicules à toutes les entreprises du secteur privé et du secteur public de plus de 50 collaborateurs et possédant une flotte de plus de 100 véhicules dont le poids total autorisé en charge est inférieur à 3,5 tonnes. L’objectif est d’atteindre au 1er janvier 2030 les 70% de leur parc en véhicules propres. Pour remplir cette obligation, les entreprises peuvent acquérir des véhicules électriques, des hybrides rechargeables et des véhicules à hydrogène, dits véhicules à faible émission.

Deux points de vigilance doivent toutefois être rappelés : d’une part, l’usage de la voiture électrique en France est aujourd’hui favorisé par un prix de l’électricité relativement faible par rapport à nos voisins européens : 17 cts/kwh contre 21 cts/kwh au niveau Europe, mais 30 cts/Kwh par exemple en Allemagne.  L’augmentation rapide de la demande (mutation du parc) et le potentiel décrochage entre la capacité de production et la demande risquent de renchérir le coût de l’électricité.

D’autre part, la question de l’impact environnemental global de la filière des batteries doit être appréhendé et organisé : extraction des métaux rares, seconde vie, recyclage des batteries.

En parallèle du renouvellement du parc et du déploiement des IRVE (Installations de Recharge de Véhicules Electriques) sur notre territoire, il est nécessaire d’intégrer aux politiques de mobilité le développement des autres modes de transport pour favoriser le report modal et l’intermodalité, et réduire fortement les pratiques d’autosolisme. En ce sens l’autopartage et le développement du covoiturage apparaissent comme des pratiques à encourager.

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Le développement de l’autopartage, l’exemple bruxellois

L’autopartage existe à Bruxelles depuis 2003. Le service s’est considérablement développé avec la venue de nombreux opérateurs sur le marché, qui ont renforcé l’offre initiale de l’autopartage en boucle, c’est-à-dire liée à des stations fixes, le véhicule est alors pris et restitué dans une station réservée à cet effet. Depuis 2016 l’offre d’autopartage en flotte libre, qui permet à l’usager de prendre une voiture, de la conduire et de la garer à un autre endroit dans la zone de service s’est implantée sur le territoire bruxellois.

Une étude a permis de mettre en exergue l’impact de l’autopartage sur l’équipement et l’utilisation d’un véhicule personnel par les bruxellois. Ainsi, 85,3% des usagers des services avec stations ne possèdent aucune voiture au sein du ménage. Ils sont 37,9% pour les usagers des services en flotte libre. Ils sont respectivement 33,1% et 13,6% de ces deux types d’usagers à s’être débarrassés d’un véhicule depuis leur inscription à des services d’autopartage. Quant aux raisons de recourir à ces services, leurs principales motivations portent sur un besoin ponctuel d’un véhicule, sur les bienfaits environnementaux, la réduction des coûts liés à la possession d’une voiture personnelle (entretien, stationnement) et la souplesse de ce mode en comparaison avec les transports en commun.

Sur les motifs de déplacement, les usagers des services avec stations ont recours à l’autopartage principalement pour rendre visite à quelqu’un ou faire des achats. Les usagers des services en flotte libre ont des motifs plus variés, sans doute dû à la plus grande souplesse du service. En effet, ils ont recours au service pour le loisir, se rendre à l’aéroport ou encore pour les trajets domicile-travail et professionnels.

Si les usages varient selon le type d’utilisateur, l’étude conclut que la pratique de l’autopartage a bel et bien des répercussions sur la baisse de l’utilisation d’un véhicule personnel.

Le rôle des employeurs face à ces enjeux

Le changement de comportement doit être accompagné et ne pas être vécu comme une contrainte. Parmi les différents outils à disposition des employeurs publics et privés, le plan de mobilité employeur peut être une solution d’accompagnement pour impulser ce changement de pratiques sur les déplacements pendulaires et professionnels, tout en permettant aux salariés de réduire leur budget mobilité. Parmi les différentes mesures d’accompagnement, en plus des actions de sensibilisation à la pratique des modes actifs pour les collaborateurs habitant proche de leur site de travail, le développement du covoiturage ou la mise en place de solutions d’autopartage peuvent être une des réponses.

Il est possible de réaliser des animations covoiturage avec l’organisation d’ateliers au sein d’une structure afin d’aider les salariés à former des équipages. La mise en place d’un outil de communication interne à l’entreprise peut également faciliter cette mise en relation. L’incitation financière, comme la mise en place du forfait mobilité durable ou la prise en charge complète ou partielle des trajets effectués via des opérateurs de covoiturage peut aussi encourager les salariés à modifier leurs pratiques de déplacement et à réduire leurs coûts liés à la mobilité. Les résultats sont très parlants. Par exemple la Communauté d’Agglomération du Beauvaisis encourage le covoiturage sur son territoire avec le dispositif Klaxit. Les trajets sont subventionnés par la collectivité. Avec la crise énergétique, la croissance du nombre de trajets réalisés a été exponentielle, passant à environ 600 trajets/jour contre 500 trajets/mois auparavant.

En tant qu’employeur, le conseil départemental de l’Oise dispose aussi d’un espace partenaire sur le site covoiturage-oise.fr pour inciter ses agents à covoiturer entre eux sur les trajets pendulaires. Une nouvelle campagne de communication sur le covoiturage, mise en place par le SMTCO (Syndicat Mixte des Transports Collectifs de l’Oise), est d’ailleurs en cours de lancement.

Affiche attendez patrick pour payer moins cher

Source : SMTCO/OISE MOBILITE

Autre exemple, le groupe L’Oréal a mis en place sur quelques campus franciliens un partenariat avec Ubeeqo pour mettre à disposition des salariés une flotte de véhicules électriques en autopartage pour les déplacements professionnels. Afin d’aller au bout de la démarche pour réduire véritablement la place de la voiture personnelle, les salariés peuvent également utiliser le service pendant les week-ends à des tarifs préférentiels.

La crise sanitaire de la COVID-19 a impulsé également des changements de pratique, puisque depuis les confinements, de nombreuses entreprises ont engagé des réflexions pour pérenniser le télétravail et le flex office au sein de leur structure.

Avec tous les signaux qui sont passés au rouge, avec l’urgence climatique et la crise énergétique, il est plus qu’urgent que les politiques et les employeurs s’emparent du sujet de la mobilité et accompagnent le changement vers des pratiques plus vertueuses et durables.

Roxane Peirazeau, consultante chez Inddigo

Cette publication a bénéficié d’une aide financière de l’ADEME, néanmoins les propos n’engagent que la responsabilité de l’auteur.

Sources :

  • Mareile Wiegmann, Imre Keserü et Cathy Macharis, « L’autopartage en région bruxelloise », Brussels Studies [En ligne], Fact Sheets, n° 146, mis en ligne le 30 août 2020, consulté le 01 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/brussels/4956 ; DOI : https://doi.org/10.4000/brussels.4956

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