Depuis les années 50, nous nous sommes habitués à travailler de plus en plus loin de notre logement, car la voiture le permettait, le changement climatique n’était pas encore un enjeu et nous pensions avoir du pétrole bon marché pour l’éternité.
Notre “budget temps-transport” est resté identique à environ 1h par jour, et a généré un allongement des distances parcourues à mesure que les moyens de transport gagnaient en vitesse.
Selon l’INSEE, en 2017, “74% des actifs en emploi qui déclarent se déplacer pour rejoindre leur lieu de travail utilisent leur voiture, 16% prennent les transports en commun et seulement 8% ont recours aux modes de transport doux (6% pour la marche et 2% pour le vélo)” [2]
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Or cette structure des trajets n’est pas compatible avec la double crise climatique et énergétique que nous devons résoudre avant 2030.
Dans ce délais très court, aucune solution technologique ne permettra de transformer 100% des kilomètres parcourus actuellement en voitures thermiques en mobilité bas carbone.
Et le vélo alors ?
Si grâce au Covid-19 nous avons assisté à un boom des ventes de vélos et des aménagements cyclables, la tendance générale reste faible : entre 2015 et 2020, la part des personnes en activité se déplaçant à vélo pour aller travailler n’a augmenté que de 0,9 point [3]. Par ailleurs, les récents cyclistes étaient des usagers des transports en commun et le covid a également entraîné une hausse de l’utilisation de la voiture [4]. Le paradigme n’a donc pas vraiment changé avec le covid.
Faisons un peu de math : sachant que parcourir 6 km à vélo prend environ 30 minutes, et que le trajet moyen d’un actif français est de 14,7 km aller [5], il faudrait faire plus d’une heure de vélo, pour se rendre sur son lieu de travail. Sans compter qu’il manque aujourd’hui des pistes cyclables sécurisées partout pour sécuriser la pratique.
La constante n’étant pas la distance mais le temps de transport, il serait logique de sortir de l’hypermobilité actuelle [6] pour revenir à des distances raisonnables et faisables en 30 minutes en mode doux : c’est-à-dire 10km à VAE, 6 km à vélo mécanique ou 2,5km à pied.
Réduire les distances parcourues pour atteindre les objectifs climatiques
Le rapport 2018 du GIEC alerte sur les conséquences dramatiques du réchauffement climatique et la nécessité absolue de le limiter à +1,5°C. Il recommande une réduction de 45% des émissions mondiales de GES avant 2030, alors que la tendance était toujours à la hausse chaque année avant le covid. Le secteur des transports en France compte pour 30% des émissions et la voiture particulière en représente la moitié :
D’après l’étude de BL évolution qui a traduit l’effort demandé par le GIEC pour les différents secteurs d’activité en France, il faudrait que le secteur des transports opère une réduction de 76% de ses émissions avant 2030. Pour y arriver, le cabinet propose des exemples de mesures qui permettraient d’y arriver : interdiction de commercialiser des véhicules à plus de 2L /100km dès 2027, interdiction progressive de circulation pour les véhicules polluants d’ici 2030, limitation de la vitesse à 110km/h sur autoroute, éco-conduite pour tous, interdiction de véhicules thermiques en centre urbains dès 2024, généralisation du covoiturage, généralisation des transports doux pour tous les trajets inférieurs à 5 km.
Or, la Loi d’Orientation des Mobilités votée en décembre 2019 ne fixe qu’un objectif de -37,5% d’émissions de CO2 pour les transports d’ici 2030. Sachant que de nombreuses mesures de la LOM sur les trajets Domicile-travail ne sont pas contraignantes (comme les Plans de Mobilité et le Forfait Mobilités Durables), il se peut que l’objectif, déjà bien inférieur à l’enjeu, ne soit pas atteint.
Même si les employeurs français proposaient tous un Forfait Mobilités Durables de 500€/an/salarié, cela ne changerait pas la structure des trajets et l’incapacité à faire une heure de vélo matin et soir.
Le covoiturage, très prisé pour les départs en weekend, ne motive pour l’instant que les automobilistes qui ont un trajet quotidien au-dessus de la moyenne nationale.
Quant aux transports en commun, seules 1000 communes (sur 36 000) sont dotées d’au moins une gare. Les 30 000 km de réseau ferroviaire en France ont du mal à lutter avec le million de kilomètres de routes goudronnées qui desservent tout le territoire national. [7]
Conclusion : le report modal bas carbone étant très limité à iso-trajets, si nous reconstruisions rapidement des villes cohérentes [8] où nous pourrions travailler bien plus près de chez nous ? Nous ferions mécaniquement moins de kilomètres en voiture et une grande majorité des trajets deviendrait même cyclable !
Réduire les distances pour être résilients avant la crise énergétique
Le pétrole est l’énergie primaire la plus utilisée dans le monde, et c’est le secteur de la mobilité qui en utilise aujourd’hui plus de la moitié (environ 60%) [9].
L’analyse prospective du Shift Project [10] prévoit un déclin de 8% des sources principales d’approvisionnement de l’UE d’ici 2030. Ce scénario “optimiste” est basé sur un prix du baril stable permettant aux industriels d’investir dans de nouveaux forages et sur une demande stable de l’Afrique et de l’Asie. Or nous vivons une baisse des investissements et une hausse de la demande asiatique. Il est donc probable que le déclin de notre approvisionnement en Europe soit bien supérieur à 8%. Cette estimation sera révélée par Le Shift Project dans une étude qui sortira en Avril 2021.
Pour pallier à la stagnation, puis la baisse de pétrole conventionnel (dont le pic à été franchi en 2008), il faudrait compter sur la découverte (encore hypothétique) de “capacités nouvelles de production”, et en fournir 31,7 Mb/j pour répondre à la demande en hausse, c’est à dire l’équivalent des capacités actuelles de production de pétrole brut des Etats-Unis, de l’Arabie Saoudite et de la Russie, trois premiers producteurs mondiaux.
En avril 2020, Maxence Cordiez, ingénieur en énergie, expliquait : « les extractions mondiales de pétrole déclinant depuis fin 2018, face à une demande mondiale structurellement en hausse, il est improbable que la France et l’Europe parviennent à remplacer pendant longtemps le déclin actuel et à venir de leurs fournisseurs »
D’après les différentes projections de RTE de l’AVERE [11], le nombre de véhicules électriques en circulation en France atteindra presque 5 millions en 2028, et entre 7 à 16 millions d’unités d’ici 2035 (soit entre près de 20% et plus de 40% du parc total). Les voitures thermiques représenteraient donc encore 80% du parc en 2028 et 60% en 2035 au moment probable où l’offre se contracterait.
Conclusion : Il est fort probable qu’une contraction de l’offre entraînera une hausse du prix à la pompe, ce qui inévitablement provoquerait une crise sociale d’envergure. Rappelons que la crise des Gilets jaunes fut déclenchée par une hausse de 6,5 centimes d’euro sur le diesel et 2,9 centimes pour l’essence. Comment feront les 74% d’actifs français non-éligibles au télétravail [12] pour se rendre à leur travail, dans les hôpitaux, les centres de tri de déchets, les centrales, les magasins, les usines, les écoles, les EHPAD…
Réduire nos trajets quotidiens pour être plus heureux !
Une étude de 2020 de l’IFOP [13] réalisée avant et après les confinements a permis de mettre en évidence l’importance du temps de trajet domicile-travail. Plus il est long, plus il représente un facteur de stress qui nuit sensiblement à la productivité des salariés. Les jeunes seraient même prêts à baisser leur salaire en contrepartie d’un lieu de travail plus proche.
Car le gain de temps qui peut être réalisé dans les transports grâce à un rapprochement des distances domicile-travail permet un épanouissement des salariés : ils disposent davantage de temps libre pour leur vie personnelle, sont moins fatigués, et dorment mieux. De plus, ce temps libre leur permet de tisser des liens avec leurs collègues en dehors des horaires de bureau, et donc d’avoir une meilleure cohésion d’équipe.
Alors, comment réduire rapidement les distances Domicile-Travail ?
Nous avons donc 5 ans pour impulser des changements rapides qui produiront leurs effets avant l’échéance de 2030 pour le climat et pour notre résilience énergétique.
Si les collectivités travaillent sur des programmes d’aménagement du territoire plus mixtes (emplois, logements et services), les employeurs publics et privés ont la capacité d’orchestrer la démobilité de leurs salariés dans un temps plus court :
Pour les 26% d’actifs dont le métier est télétravaillable [14] :
- Maintenir un haut niveau de télétravail après le covid à 3 jours par semaine pour ceux qui le souhaitent et particulièrement pour ceux qui sont en voiture. Attention à l’effet rebond des salariés qui partiraient vivre au vert et envisageraient de prendre l’avion ou la voiture sur de longs trajets plusieurs fois par mois pour venir au siège)
- Proposer des tiers lieux en interne dans l’entreprise (un salarié du siège qui serait autorisé à travailler sur une agence / boutique ou dans des espaces de coworking).
Pour les 74% d’actifs peu ou pas éligibles au télétravail mais également pour l’ensemble des actifs :
- Aider les employés à déménager avec une prime de proximité
- Aider les employés à se loger plus proche de l’établissement
- Aider les employés à obtenir un échange de logements sociaux
- Au sein des employeurs multi-sites (services publics, grands groupes…), identifier les employés de terrain qui pourraient être mutés sur un établissement plus proche de chez eux (Ex : Employé du retail, des services publics ou des collectivités)
- Attribuer les missions / sectorisation en fonction du domicile de l’employé
- Fournir des services sur le lieu de travail pour que tout soit possible en “local” (panier de légumes, livraison course, coiffeur, bibliothèque, foodtruck,
- Déménager l’entreprise plus proche des résidences des salariés si cela s’y prête.
Toute transformation passe par une prise de conscience de l’existant. Mener son Plan de Mobilité Employeur est donc tout indiqué pour amorcer le projet au niveau des employeurs et des territoires. Et pour fédérer un groupe de travail, le tout nouveau jeu “La fresque de la Mobilité” permettra d’ouvrir les discussions.
Nous sommes la génération qui a la possibilité de repenser un projet de société non pas basé sur la vitesse et l’hypermobilité, mais sur la proximité, le bon sens et le bien-être !
Laure Wagner, fondatrice de 1km à Pied
Cette publication a bénéficié d’une aide financière de l’ADEME, néanmoins les propos n’engage que la responsabilité de l’auteure.
- [1] Yakob Zahavi : Conjecture de Yacob Zahavi, 1979
- [2][3] Insee : “La voiture reste majoritaire pour les déplacements domicile-travail, même pour de courtes distances”, 2021
- [4] Obsoco : L’observatoire des mobilités émergente : Quelles mobilités des Français après le COVID ?
- [5] Ministère de la transition écologique : Enquête nationale transports et déplacement (ENTD), 2008
- [6] Yves Crozet : Hyper Mobilité et politiques publiques, 2016
- [7] Yves Crozet : Hyper Mobilité et politiques publiques, 2016, p.50-51
- [8] Jean-Pierre Orfeuil, Marie Hélène Massot et Emre Korsu : La Ville Cohérente : penser autrement la proximité, 2012
- [9] OPEP : World Oil Outlook, 2014
- [10] The Shift Project :Possible déclin de l’approvisionnement en prétrole de l’UE d’ici 2030, 2020
- [11] AVERE : Enjeux du développement de l’électromobilité pour le système électrique, 2019
- [12][14] Fondation Concorde : Accompagner la mise en place du télétravail, 2017
- [13] IFOP :Bureaux, l’heure de vérité : Après la crise, où allons nous travailler, 2020
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Bonjour,
Article très intéressant, mais je pense que l’hypothèse de 12kmh de moyenne pour des vélos sans assistance électrique est un peu trop prudente. Je vois que l’enquête date de 2008.
Je suis un peu sportif et je fais 60km/jour environ, et franchement je vois assez vite les effets sur ma santé et mon bien être.