Dans une économie qui doit se décarboner, la question du futur de l’activité des entreprises se pose. Alors que la réduction des émissions et donc les risques d’impacts climatiques incontrôlables va peu à peu mener les individus à changer, les entreprises vont devoir s’adapter, en proposant des produits et services différents. Qu’est-il alors possible de faire aujourd’hui au sein des entreprises pour anticiper ce futur?
Quel futur pour notre monde?
Depuis la publication du rapport AR6 partie 1 du GIEC, nous pouvons l’affirmer sans conteste : l’activité humaine influence le climat. Son influence se traduit en partie par le réchauffement de l’atmosphère et des océans, entraînant de nombreuses conséquences sur les équilibres naturels et les sociétés humaines. Face à ce constat, quelles trajectoires sont possibles pour notre société ? Quelles actions les organisations peuvent-elles mener pour contribuer à réduire nos émissions de gaz à effet de serre ?
Plusieurs scénarios sont proposés par les scientifiques du GIEC, plus ou moins catastrophiques en fonction de la rapidité des actions qui seront mises en œuvre pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Le scénario le plus ambitieux limitant le changement climatique à +1,4°C en 2100 implique que les individus réduiront leur empreinte carbone personnelle de manière drastique. L’empreinte carbone actuelle d’un individu français est en moyenne de 10tCO2eq/an. Or, dans un scénario à moins de +2°C d’ici 2100 et selon les objectifs fixés par l’Accord de Paris en 2015, l’empreinte humaine annuelle devrait être de 3 à 5tCO2eq/(an.hab) en 2030, et de 2tCO2eq/an en 2050 : un vrai changement de mode de vie et de fonctionnement sociétal est nécessaire.
Concrètement, comment réduire les émissions de CO2 ?
Tout d’abord, les services publics représentent environ 1.5 tCO2eq/an pour les Français et il est très probable que leur décarbonation soit moins rapide que le reste. Les efforts pour atteindre 3 à 5 tCO2eq/an viendront d’autres leviers aux effets plus importants et rapides :
- un changement à la fois de notre agriculture et de notre alimentation (les deux étant liés), pour minimiser la consommation totale de viande de ruminant et d’engrais azotés
- une amélioration massive du secteur résidentiel, avec une rénovation qui permettra de baisser les consommations d’énergie (source : note B&L Evolution, 2019)
- une évolution de notre mobilité, en voiture mais aussi en avion
3 tCO2eq/an, s’obtiennent très rapidement : avec 1.3 tCO2eq/an pour les services publics, un seul repas à base de bœuf par semaine, des trajets quotidiens de 20km maximum, une surface moyennement isolée de 30 m² : le tour est joué. Bien évidemment, des vacances en avion avec un vol émettant 2tCO2eq, ne rentrent pas dans le calcul.
Si nous sommes encore loin de ces objectifs, il est impératif de faire notre nécessaire pour nous en approcher. Cette démarche doit être portée à la fois par les citoyens et les collectivités, mais aussi par les entreprises. Ainsi, pour qu’une entreprise soit viable dans un monde décarboné, connaître puis réduire son empreinte carbone et repenser ses activités avec ce prisme “bas-carbone” n’est plus une option, mais une nécessité. De fait, Mark Carney (ex-gouverneur de la Banque Centrale du Canada et de celle d’Angleterre) annonçait en 2019 : « Les entreprises qui ignorent la crise climatique feront faillite ».
Sobriété : quelles conséquences pour les entreprises ?
Dans un monde où les français doivent diviser leurs émissions de GES par deux, les entreprises vont devoir orienter leur stratégie en fonction de leurs émissions de gaz à effet de serre. Chaque entreprise va, à un moment donné, devoir se poser la question suivante : « dans un monde où les citoyens limiteraient leur consommation à 3 Tonnes de CO2eq/an, mes clients continueraient-ils à acheter mes produits et services ? ». De là, le futur stratégique de l’entreprise peut changer complètement, d’autant plus dans un monde où l’injonction éthique glisse de plus en plus vers la contrainte juridique : dans le monde de demain, toute inaction climatique pourrait faire l’objet de sanctions à diverses échelles. Les entreprises vont donc devoir s’adapter.
Comment adapter les entreprises face à l’urgence climatique ?
L’adaptation des entreprises dans un contexte climatique tendu, doit se faire en deux étapes :
1- Mesurer et comprendre
Mesurer consiste tout d’abord à réaliser le bilan d’émissions de GES (BEGES) ou le Bilan Carbone® de l’entreprise. Cette initiative peut s’imposer à l’entreprise soit du fait de la prise de conscience de la direction, soit sous la pression des salariés, des clients ou de la société en général. Un bilan complet des émissions est nécessaire pour avoir un point de référence et une base solide pour projeter l’entreprise vers le futur. Pour certaines activités, cela revient à mesurer des émissions auxquelles l’entreprise n’aurait pas forcément pensé : un publicitaire en télétravail aura un faible impact environnemental direct, mais ses actions en tant que publicitaire peuvent avoir un impact conséquent par exemple.
Pour plus d’informations sur la réalisation d’un BEGES, nous vous invitons à consulter la note « les bonnes questions à se poser pour faire un BEGES utile », écrite par les membres de l’APCC.
2- Agir
Une fois que l’impact de l’entreprise est mesuré, il faut définir les plans d’action et les mettre en œuvre. Mais il est ici question de réduire très fortement les émissions : plutôt que des plans d’actions « classiques » d’optimisation, il est très probable que l’entreprise, en ayant compris l’importance des enjeux, doive repenser son positionnement, sa vision ou même entamer une réelle bifurcation.
Agir, c’est d’abord se poser la question de la pérennité de son activité dans le futur. Repenser le futur, c’est s’adapter : la stratégie de demain ne peut pas se penser avec des modèles d’hier et le climat doit donc être pris en compte dans la stratégie d’entreprise. Penser une stratégie, c’est alors définir des buts, faire des scénarios et mettre en œuvre des actions adaptées. Si aujourd’hui le gain immédiat prime sur la sécurisation et la pérennité, quelle sera la stratégie dans un monde bas carbone ?
Le concept de “parcimonie carbone”
La consommation vient répondre à plusieurs types de besoins, depuis les besoins les plus fondamentaux pour rester en vie jusqu’à des besoins de luxe (au sens non utiles pour rester en vie). Ces besoins n’ont pas tous le même poids carbone, et aujourd’hui, la consommation répondant aux besoins les moins nécessaires sont très souvent les plus carbonés.
Nos besoins « de luxe », ou besoins « récréatifs », correspondent à presque 50% de notre empreinte carbone actuelle. En repensant l’ordre de nos priorités, nous pourrons drastiquement réduire notre empreinte carbone, tout en répondant à nos besoins physiologiques et sécuritaires et à d’autres besoins moins prioritaires tant qu’ils sont peu carbonés. L’entreprise doit prendre en compte le fait que la consommation actuelle devra évoluer, en adaptant les produits et services offerts, car ne pas changer finira par avoir un coût humain inacceptable pour nos sociétés. Il est donc important de se poser la question suivante dès maintenant : « à quel(s) besoin(s) répondent les services produits par mon entreprise » ? En somme, il s’agit de repenser l’adéquation entre le poids carbone de l’offre de l’entreprise par rapport au niveau de besoin (concept d’ “utilité carbone”), tout en optimisant ce poids carbone le plus possible (“efficience”).
Mais la transformation ne doit pas se limiter aux produits et services offerts, bas carbone et produits de manière efficiente. La sobriété commerciale est également importante pour limiter l’impact de l’entreprise : cela signifie conseiller les clients par exemple en étant transparent sur le contenu en carbone d’un produit, ou en définissant une durée minimale d’utilisation d’un produit. Cela veut aussi dire proposer des services différents, tels que la location (comme le fait Decathlon avec certains produits), la réparation (comme peut proposer l’entreprise Murfy), ou l’entretien d’un produit, et proposer des nouvelles utilités moins carbonées. Dans ce contexte, un produit à l’obsolescence programmée ou une communication poussant à la surconsommation ne sont pas envisageables.
Enfin, l’empreinte carbone liée à l’activité des dirigeants et des salariés (leur déplacements, leurs voyages, leur alimentation) dépasse parfois l’empreinte carbone de l’activité de l’entreprise. Limiter les émissions de son entreprise, c’est donc aussi privilégier l’équité carbone au sein de son entreprise : cela peut passer par une réflexion sur les aspects de rétribution et par des pratiques qui incitent à une vie sobre en carbone et qui est équitable entre tous les membres de l’entreprise. Proposer des véhicules de fonction décarbonés à tous les salariés de l’entreprise, avoir un plan de mobilité ou proposer une épargne d’entreprise décarbonée (projets d’énergie renouvelable) font partie des pistes possibles.
Ainsi, il est urgent, nécessaire et possible pour les entreprises de repenser leur stratégie en y intégrant la dimension environnementale, tout d’abord en mesurant leur impact carbone, puis en agissant en conséquence, le plus tôt possible. Ces actions vont contribuer à adapter son entreprise à une société de demain sobre en carbone et dont la priorité des besoins aura été repensée, à la fois en modifiant les services proposés aux salariés et aux clients.