Etat des lieux et explorations des bénéfices du développement de la logistique à vélo en milieu urbain

Suivant le développement du vélo à l’échelle nationale, les métiers et l’entreprenariat mettant au centre de leur activité l’utilisation de la bicyclette sont en plein essor. Le développement de l’entreprenariat à vélo étant par exemple catalysé par le réseau des Boîtes à Vélo France [1]. Le paysage de la logistique urbaine bas carbone est alors composé à la fois d’entrepreneurs et entrepreneuses1, et d’acteurs historiques du secteur qui expérimentent pour certains des pratiques plus durables pour la logistique du dernier kilomètre. Dans ce contexte, BL évolution a pu intervenir les 18 et 19 février 2022 lors du congrès des Boîtes à Vélo France, pour présenter un récent travail effectué sur les bénéfices du développement de la cyclologistique pour les livraisons du dernier kilomètre.

 Mais la logistique du dernier kilomètre, qu’est-ce que c’est ? Quels impacts ?

La logistique du dernier kilomètre est un concept assez mal défini, qui regroupe, dans sa conception la plus large, l’ensemble du transport de marchandises en ville, ou encore le dernier trajet de la marchandise vers son destinataire final.

Le cadre pris dans notre travail, et duquel nous parlerons ici est le suivant : « Dernier maillon de la chaîne de livraison avant acquisition par le destinataire final. » Cela comprend donc la livraison à domicile, la livraison en point relais, mais également l’approvisionnement de commerces urbains. On ne prendra en revanche pas en compte le potentiel trajet du destinataire final pour récupérer le produit.

Cela étant posé, il est maintenant nécessaire de préciser l’impact de cette logistique du dernier kilomètre. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il est considérable et ce à bien des égards : d’après le Centre d’Analyse Stratégique (aujourd’hui devenu France Stratégie), le fret urbain représentait en 2012 dans la plupart des villes françaises : 20% du trafic, 30% de l’occupation de la voirie et 30% des émissions de gaz à effet de serre [2]. Le dernier kilomètre, bien que petit maillon de la chaîne logistique par sa taille, représente également une grande partie des coûts de la chaîne dans son ensemble (plus de 40% pour une livraison à domicile[3]).

Si l’on veut s’extraire de ces chiffres impersonnels, il suffit de prendre son vélo dans une grande ville, par exemple pour se rendre sur son lieu de travail entre 7h et 10h, pour se rendre compte que la logistique urbaine est  non seulement un sujet écologique majeur, mais aussi un sujet qui freine le développement du vélo dans ces zones (congestion et danger induits par les poids lourds et leurs angles morts portant malheureusement si bien leur nom, stationnement intempestif sur les pistes cyclables, etc.).

Mais la logistique à vélo, qu’est-ce que cela apporterait ?

C’est là le cœur de la réflexion que nous avons voulu engager chez BL évolution, en élaborant un outil permettant de quantifier les bénéfices environnementaux du développement de la cyclologistique en zone urbaine. Ce travail exploratoire nous a amené des premiers éléments de réponse, qui restent à challenger en les confrontant à la réalité. Car le premier constat que nous pouvons faire, c’est que le secteur de la logistique urbaine manque cruellement de données, en particulier de données agrégées à l’échelle d’un territoire donné ! Ceci peut s’expliquer par un contexte très concurrentiel qui ne favorise pas l’ouverture des données, mais aussi par la multitude d’acteurs qui cohabitent dans ce secteur (transporteurs, petites entreprises de logistique, sociétés d’aménagement, collectivités, commerces, points relais, etc.).

Nous évaluons néanmoins2 le bénéfice du passage d’un système 100% véhicules lourds motorisés (Véhicules Utilitaires Légers et moyens porteurs), à un système 100% vélo-cargo (avec un approvisionnement de plateformes de logistique urbaine de nuit via des poids-lourds) à 60% à 95% de réduction des émissions de gaz à effet de serre. On dénombre également de nombreux autres bénéfices, parmi lesquels :

  • La pollution atmosphérique qui serait quasi-intégralement supprimée (un atout indéniable pour la mise en place de Zones à Faibles Émissions dans les villes françaises)
  • La place occupée dans l’espace public par le parc de véhicules requis serait divisée par deux
  • L’espace public serait grandement apaisé, avec par ricochet un développement du vélo catalysé
  • La pollution sonore serait fortement diminuée.

 La livraison à vélo en zone urbaine permet également un gain d’efficacité sur plusieurs aspects : distances plus courtes (avec les double-sens cyclables et les voies fermées à la circulation motorisée), temps de recherche de stationnement quasi-éliminé, décharge facilitée, etc.

D’accord, si c’était si facile ça serait déjà mis en place à grande échelle, quels freins identifie-t-on à ce développement pour le moment ?

En effet, les freins au développement de la logistique à vélo sont réels, mais il ne tient qu’aux acteurs concernés de desserrer les patins.

On peut citer en premier lieu la question du foncier dans les zones urbaines. Développer la logistique à vélo sous-entendrait également réduire la distance parcourue pour l’acheminement des colis à leur destination finale, cette livraison étant aujourd’hui faite depuis de grandes plateformes logistiques périphériques dans la plupart des cas. Cela nécessite donc de créer des plateformes de logistique urbaine, qui seraient par exemple approvisionnées par des poids-lourds la nuit (en termes d’efficacité, difficile pour le moment de trouver mieux), et autour desquelles rayonneraient les vélos-cargos le jour. En fonction des villes, la disponibilité et le coût du foncier pourront alors être des freins, d’autant plus que la livraison par des poids lourds nécessite de respecter un cahier des charges rigoureux.

On peut aussi légitimement questionner la viabilité économique de cette solution (coût du foncier, rupture de charge supplémentaire au niveau des plateformes de logistique urbaines, livreurs et livreuses supplémentaires, etc.). Néanmoins une récente étude[4] évalue à 67% la part des colis pouvant être livrés à vélo effectivement livrables en vélo cargo en gardant une viabilité économique. C’est en revanche une solution à développer à une échelle suffisante pour exploiter les plateformes à leur plein potentiel, et ainsi réduire les coûts marginaux.

 La question du potentiel manque d’aménagements peut aussi être pointée du doigt (c’est en tout cas une réalité dans beaucoup de villes françaises aujourd’hui). On peut même aller plus loin en évoquant le dimensionnement inadapté des infrastructures cyclables pour des vélos cargos : largeurs trop faibles, angles de giration trop serrés, obstacles, etc. C’est un aspect en cours d’amélioration dans beaucoup de villes françaises, et il y a fort à parier que ce ne sera plus un frein dans quelques années. Ces améliorations bénéficieront en outre à l’ensemble du système vélo et donc au développement de la part modale vélo dans son ensemble.

 Enfin, on pourra aussi rétorquer que les volumes et charges utiles des vélos cargos sont trop faibles. C’est effectivement indéniable qu’un moyen porteur de 7,5t pourra transporter plus de colis d’un coup qu’un vélo cargo ayant une capacité d’1,5 m3 et 300 kg. Et le but de ce propos n’est pas d’ériger le vélo cargo en solution miracle à tous les problèmes de la logistique urbaine, certaines livraisons faites par des véhicules lourds devront continuer à l’être, parce que ça restera plus efficace et pratique. On observe néanmoins dans la littérature, et dans notre travail de modélisation, qu’un Véhicule Utilitaire Léger est remplacé par 1 à 2 vélos cargos[4 ; 5], à périmètre égal.

En considérant un périmètre adapté, et en organisant correctement le système la soutenant, la cyclologistique peut donc être une solution à bien des problématiques de logistique urbaine. Les études explorant le potentiel de cette solution fleurissent régulièrement, par exemple 51% des trajets motorisés associés à du transport de marchandises pour celle-ci [6]. Les bénéfices environnementaux semblent réels, mais le développement opérationnel de la logistique à vélo nécessite une forte coopération, potentiellement entre acteurs concurrentiels. Les collectivités peuvent alors être de précieux catalyseurs à cette transformation, sous réserve de forte motivation, et qu’elles soient dotées d’un accompagnement, d’outils et de financements adaptés.

1Exemple : le lancement lors du congrès des Boîtes à Vélo France d’une Fédération Professionnelle de la Cyclologistique : https://cyclologistique.fr/

2En prenant comme périmètre la livraison de colis dont les caractéristiques physiques permettent une livraison en vélo cargo, partant d’une plateforme de logistique située en périphérie de la zone urbaine

Corentin Consigny, consultant chez BL évolution

Cette publication a bénéficié d’une aide financière de l’ADEME, néanmoins les propos n’engagent que la responsabilité de l’auteur.

Autres ressources :
Sources :

[1] Réseau national d’entrepreneuses et entrepreneurs à vélo, rassemblent près de 300 entreprises et 1 000 équivalents temps plein (ETP) – https://lesboitesavelo.org/, 2022

[2] Centre d’Analyse Stratégique, Note d’analyse 274 – Pour un renouveau de la logistique urbaine, 2012

[3] Capgemini, The last-mile delivery challenge, 2019

[4] A. ROBICHET, P. NIERAT, F. COMBRES, Delivering Paris by Cargo Bile : Ecolgical Commitment or Economically Feasible?, 2022

[5] E. VERLINGHIERI, I. ITOVA, N. COLLIGNON, R. ALDRED, The Promise of Low Carbon Freight, 2021

[6] S. WRIGHTON, K. REITER, CycloLogistics – moving Europe forward !, 2015

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