Quiconque s’intéresse aux problèmes climatiques a conscience des inégalités entre pays. Néanmoins, derrière le chiffre des « émissions moyennes nationales par habitant » se cachent d’importantes disparités. Ainsi, les efforts de réduction ne doivent pas porter uniquement sur les pays, mais aussi sur les individus. Au sein d’une même nation, certaines personnes sont beaucoup plus émettrices que d’autres, et les objectifs de réduction ne sont pas les mêmes selon les différents groupes socio-professionnels.
Introduction
Le rapport « Carbon and Inequality : from Kyoto to Paris » a été publiée le 3 novembre 2015, par le célèbre économiste Thomas Piketty et Lucas Chancel (IDDRI & Paris School of Economics). Noyée dans le flot d’informations qui entourait la COP21, elle a été peu médiatisée. En attendant sa mise à jour, en cours de rédaction par l’équipe du World Wealth & Income Database (WID http://wid.world/), il nous semble important d’en rappeler les principales conclusions.
Tous les graphiques de cet article sont issus de ce rapport, et remercions leurs auteurs pour la qualité de leurs travaux.
Rappel des inégalités mondiales
Les inégalités mondiales sont bien connues : les pays riches (Amérique du Nord en tête) sont les plus émetteurs.
Ainsi, il n’est pas surprenant de constater que parmi les 10% des individus les plus émetteurs de la planète, qui représentent à eux seuls près de la moitié des émissions mondiales, nous retrouvons 40% de Nord-Américain (cf graphique ci-dessous). Néanmoins, il est plus surprenant de constater que ce « groupe des 10% » est aussi composé à plus de 25% par des personnes d’Asie, d’Amérique Latine ou du Moyen Orient.
Cette analyse est importante : « tous les habitants des pays pauvres ne sont pas pauvres ».
Evolution des émissions selon le niveau d’émission
Une autre observation de ce rapport, très éclairante, est que les émissions de ceux qui émettent le plus ont tendance à augmenter plus vite que celles de ceux qui émettent le moins. Cette règle ne s’applique pas aux 20% des personnes qui émettent le plus, qui n’ont augmenté leur impact « que » de l’ordre de 10% entre 1998 et 2013.
Sur le graphique ci-contre, on voit que les 2% les moins émetteurs ont vu leur impact baisser de 12% entre 1998 et 2013. Ensuite, au sein des 50% les moins émetteurs (en bleu), plus le niveau d’impact est élevé, plus l’augmentation des émissions est marquée. Au sein du groupe des 40% suivant (en rouge), l’augmentation est d’abord de l’ordre de 30-40%, avant de retomber progressivement vers le niveau d’augmentation des plus riches ( + 10%).
Les inégalités à l’intérieur des pays deviennent prépondérantes
Cette évolution des inégalités carbone est une conséquence du creusement des inégalités économiques au sein des pays riches, étudiées dans le détail et de manière très pertinente par Thomas Piketty dans son best Seller « Le Capital au 21e siècle » (2013). Cependant, la croissance des pays « pauvres » ayant été très supérieure à celle des pays « riches », on observe une baisse des inégalités entre pays.
Ainsi, l’indice de Theil, qui permet de quantifier l’inégalité est désormais le même en raisonnant « entre pays » ou « à l’intérieur des pays » (voir graphique ci-dessous). Vu la dynamique de ces 2 courbes, et l’évolution de l’économie mondiale que nous connaissons depuis 2013, il est très probable que d’ici 2020, les inégalités à l’intérieur des pays deviennent un enjeu majeur.
Conséquences politiques et freins méthodologiques
Dans le cadre de l’accord de Paris, les pays s’engagent à réduire leurs émissions totales. Mécaniquement, cela correspond à réduire les émissions moyenne par personne et/ou la démographie. Pour réduire cette moyenne, les pays vont-ils traiter de la même manière les 10% les plus émetteurs (responsables de la plus grande partie du problème) et le reste de la population ?
Cette question devra être étudiée au sein de chaque nation, si possible de manière démocratique. Les réponses apportées reflèteront des choix de société.
En attendant, la connaissance de nos impacts carbone réels devra être améliorée : la fonction utilisée par Piketty & Co, permettant de convertir les revenus en émissions de CO2, est globalement correcte, en première approximation : plus on est riche, plus on émet de CO2. Mais cette règle générale masque de nombreuses exceptions.
Un calcul plus précis, tenant compte des singularités de chaque individu, nécessite une méthode et des outils actuellement indisponibles. Doter les Etats et les citoyens de tels outils est à mon sens une priorité absolue pour définir une politique climatique équitable et cohérente.
Par Vincent Provot, Avenir 4